Déjudiciarisation du Divorce

Des risques de la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel

En France, près d’un couple sur deux divorce. Dans le souci allégué de désengorger les Tribunaux, le Gouvernement a lancé un projet de réforme consistant à confier aux Notaires la mission d’enregistrer le consentement des époux au divorce, au même titre qu’une vente immobilière. Un groupe de travail, présidé par le Juriste Serge GUINCHARD, a pour mission de réfléchir à la possibilité de divorcer sans passer par le Juge.

« Cette privatisation du divorce amiable« , qui a surtout pour but caché de restreindre le budget de l’aide juridictionnelle, repose sur le postulat erroné selon lequel on peut résoudre de façon simple et expéditive des situations qui sont par essence compliquées.

A l’évidence, les conséquences de l’échec d’un couple et de l’éclatement de la cellule familiale ne peuvent se formaliser sur le coin de table d’un spécialiste de la publicité foncière et du droit des successions, ne disposant d’aucune expérience en matière de protection de l’enfant et d’évaluation d’une pension alimentaire.

Le code civil prévoit déjà le recours au service d’un seul avocat dans les situations les plus simples.

Ce dernier s’assure du consentement éclairé des époux, procède à la rédaction d’une convention soumise à l’homologation du Juge qui, sans rentrer dans l’intimité des personnes, contrôle l’équilibre de la convention, et la préservation de l’intérêt des enfants mineurs.

Une seule audience est alors prévue.

En cas de survenance d’un désaccord entre les époux avant son homologation, l’avocat doit impérativement se dessaisir du dossier.

La procédure peut alors devenir contentieuse, mais aussi rester amiable avec l’intervention de deux conseils.

La pratique professionnelle révèle que :

La situation idéale dans laquelle les époux sont d’emblée d’accord sur toutes les modalités du divorce (résidence des enfants, pension alimentaire, prestation compensatoire, liquidation de la communauté, etc…) correspond à une fraction très réduite des divorces.

Elle concerne bien souvent de jeunes mariés qui n’ont pas de bien en commun, pas d’enfant, rien à partager.

Même dans ces cas, l’aménagement de la vie future après l’échec du couple s’accompagne nécessairement de questionnement et de doute.

Si ces désaccords sont fréquents, ils ne sauraient pour autant être inconciliables avec une volonté commune de rester attaché au principe d’un divorce amiable.

Or là encore, la pratique professionnelle confirme que c’est le plus souvent au terme d’une négociation rigoureuse éclairée par le conseil de professionnels aguerris au droit de la famille, dans le respect de la déontologie et de la confidentialité destinée à garantir la sécurité des pourparlers, que les divorces par consentement mutuel aboutissent.

L’homologation par le Juge, intervenant ainsi pour valider un processus de réflexion, de maturation indispensable à la prise de mesures régissant l’avenir.

Qu’en sera t-i1 de cette prise de distance, lorsque ces situations seront livrées’, clés en mains, aux bons auspices d’un rédacteur d’acte qui n’est pas soumis à un impératif d’équité et de justice, et placé de surcroît en position de Juge et partie, puisque rémunéré par celles-ci ?

Se posent ainsi notamment :

  • La question de la protection de la partie la plus faible économiquement et psychologiquement, privée désormais de l’avis éclairé d’un professionnel.
  • La question de la protection de l’intérêt de l’enfant, qui risque d’être fragilisé par l’accélération d’une procédure purement contractuelle, au mépris des dispositions législatives protectrices relatives notamment à son audition par le Juge, lorsqu’il a atteint l’âge du discernement, ainsi que son droit à l’assistance d’un avocat, spécialisé dans la défense des mineurs.
  • La question du coût de ces nouveaux divorces, et de l’attribution de l’aide juridictionnelle.

Sous couvert de simplicité dans la formulation du consentement, le risque est de voir se profiler la tentation de ficeler rapidement une transaction, en se privant des garanties fondamentales, ce qui serait source pour le justiciable de création d’un nouveau contentieux de l’après divorce.

A l’inverse de ce que pense Madame le Garde des Sceaux, le droit de la famille doit rester, sous tous ses aspects, au centre de ce qui constitue le cœur de la fonction judiciaire.

Réduire l’activité juridictionnelle à sa stricte matière contentieuse conduirait à porter atteinte à la fondamentale mission de protection du Juge.

Il est important que le groupe de travail constitué fasse fléchir la dangereuse mise en marche de ce processus.